SIMONE : On va parler de manière concrète de toi et de ton travail d’artiste. Tu as fait un livre, il n’y a pas longtemps, où tu retraces toute ta vie d’artiste, d’enfant jusqu’à maintenant « La realidad de mi danza ». Comment est ce que toi, tu vois ton propre cheminement d’artiste ?
PASCALE : Déjà, ça n’a pas vraiment été un choix, aussi loin que je m’en souvienne, je n’ai pas vraiment décidé d’être artiste dans la mesure où je suis convaincue que ça ne se décide pas et que c’est plus un état qu’une fonction. Cela fait partie des choses qui font partie de soi, comme une manière d’être, d’exister, comme une nature propre. Après, évidemment on ne peut pas être artiste sans travailler, sans s’y consacrer ni sans engagement. Mais au fond avant même que je ne réfléchisse à même la notion d’un métier, ou avant d’avoir une idée de comment fonctionnait la société, enfant, je me souviens à quel point il était pour moi absolument naturel et évident que c’était ma vie. C’était pour moi une manière d’exister, de m’exprimer, et ça devait le rester. Je n’imaginais pas un seul instant que cela puisse en être autrement. C’est la première des choses.
Quand j’étais enfant, c’était comme une prolongation de ma pensée, plus qu’un moyen de communication, c’était ma manière de m’exprimer. J’avais une certaine facilité, je n’avais donc pas forcément la notion d’effort dans le travail mais en grandissant, je me suis rendue compte de la valeur de l’effort, de la nécessité de travailler, sans compter, mais surtout, en réfléchissant à l’expression, la nature de l’expression, et surtout quelle était la mienne… ce qui était absolument nécessaire, c’était la notion d’intégrité, d’honnêteté, d’être au plus près de soi, toujours, et de ne jamais accepter quoi que ce soit qui pourrait m’éloigner de ça. Evidemment, c’est très difficile dans une société comme celle-là. Mais pour moi, c’est absolument indissociable de l’état d’artiste, la vérité.
SIMONE : Comment est ce que tu as pris conscience de tout ça ? Tu parlais de ton enfance, de cette manière de t’exprimer … à quel moment est ce que tu as réalisé que c’était ton chemin, que tu allais en faire ta vie ?
PASCALE : A l’école au fond, parce que c’est le premier endroit où l’on est confronté à la société, aux autres, et c’est là où on vous fait comprendre qu’il faut s’intégrer à la société, qu’il faut avoir un métier… et moi, je me sentais très éloigné de tout ça. Schématiquement on vous dit « voilà comment le monde fonctionne, et voilà qui tu es. Il faut apprendre à s’adapter au monde tel qu’il fonctionne ». Et ça en s’oubliant forcément, parce que si vous prenez une voie qui ne correspond pas à la norme, c’est forcément déraisonnable, et en étant déraisonnable, c’est presque impossible… Or moi je partais du principe qu’on réussit mieux quelque chose pour lequel on est fait. Et si on le fait avec amour ce n’est plus un travail dans le sens laborieux du terme, mais une activité qui est au plus près de soi, une expression de soi, et quand on y prend du plaisir, on y travaille d’autant plus et d’autant mieux. Je défendais cette idée-là. Aussi parce que je souffrais à l’école bien qu’ayant des facilités, je m’y ennuyais, je trouvais tout et tout le monde un peu trop conformiste, je rêvais toujours d’un ailleurs, d’un monde meilleur, sublimé, rêvé.
J’avais un idéal de vie qui était un idéal de littérature, un idéal amoureux et artistique qui était exalté, de l’ordre de quelque chose de mythique. Et j’étais convaincue que c’était réalisable, pour moi il n’était pas question d’accepter un autre mode de vie que celui-là mais j’avais bien conscience que pour l’atteindre, il fallait travailler très dur, et m’y atteler de toutes mes forces.
SIMONE : Un idéal mythique romantique, qu’est ce que tu veux dire par là ?
PASCALE : C’est au fond être ce que l’on dit, se donner la possibilité de vivre ce que l’on rêve, et d’être ce que l’on fait. Qu’il n’y ait pas de scission, se donner la possibilité d’accomplir ses rêves …
SIMONE : Je trouve que c’est important, ce milieu mythologique, cette vision idéaliste que tu avais et que tu as toujours …
PASCALE : Oui, vivre ses rêves, réaliser ses rêves. Et les accomplir, se donner la possibilité de se construire un monde, une vie à son image. Parce qu’on vit dans un monde où malheureusement on veut vous inculquer ce qui est du domaine du possible et de ce qui ne l’est pas. Je trouve dommage de poser ainsi des limites. Moi, lorsque j’étais enfant, ma mère me disait toujours que « pour atteindre la colline, il fallait regarder la montagne ». Et je l’ai appliqué à la lettre.
Je dois aussi très probablement avoir une nature un peu romantique, exaltée, je ne sais pas, mais sans absolument aucun doute, avec idéalisme et peut-être de l’innocence, j’ai toujours pensé sincèrement, qu’il pouvait ne pas y avoir de limite à ce que l’on pouvait réaliser et à ce que l’on pouvait rêver, et que la vie telle que je pouvais la rêver c’était la vie que je pouvais avoir.
SIMONE :Quand tu parles de ces rêves, et de cet univers, de vivre ce en quoi tu crois, toi c’était quoi ta vision de l’époque ? A quoi tu croyais ?
PASCALE : Ce n’était pas forcément quelque chose de très défini, mais en tout cas, c’était sans limite. Le plus loin, le plus haut. Je ne voulais pas me poser de limites, et surtout, je voulais croire qu’il était possible de ne pas accepter de compromis.
En fait, quand j’étais enfant ou adolescente et que je lisais des romans ou des textes mythiques, des lectures très fortes, très idéalistes, j’avais la sensation parfois que ça s’adressait à moi. Non pas de manière égocentrique mais au fond je pensais et je pense toujours qu’à chaque coin de rue, à chaque lecture, on peut trouver des choses qui nous sont adressées directement, et qui nous mettent sur le chemin. Je voulais rester ouverte à ça, ouverte aux signes que m’indiquait la route sans a priori, et sans me limiter à une notion de ce qui serait raisonnable, possible ou pas.
Pour moi il n’y avait pas de notion d’impossibilité, tout était possible, j’attendais juste de découvrir ce que le cosmos, la vie, l’univers, le destin, appelle-le comme tu veux, allait m’apprendre et m’offrir.
Pendant très longtemps, j’avais la sensation que je vivais dans une sorte de projection. Comme si j’étais dans une espèce d’antichambre, et que ma vie réelle n’avait pas vraiment encore commencé, et je me préparais, comme un soldat ou un moine, un samouraï ou un guerrier, à entrer sur le champ de bataille, à commencer la vraie vie. Je ne me souviens pas exactement depuis quand, j’ai la sensation aujourd’hui d’être dans le train. Tout en ayant envie et besoin de réaliser beaucoup de choses, en tout cas, je suis dans mes rails. A la juste place, ni plus ni moins.
SIMONE : Moi, j’aime beaucoup l’idée qu’il y a des choses qui t’ont ouverte comme ça. Des lectures, appelons ça des signes, à défaut d’avoir un meilleur terme. Est ce que tu as quelques exemples de choses qui t’ont formée, ouverte, qui t’ont mise sur ces rails-là ?
PASCALE : Oui, il y a eu « Les lettres à un jeune poète » de Rilke, ça a été ma bible pendant assez longtemps. Ca fait très longtemps que je ne l’ai pas lu… je ne saurais pas dire si ça me procurerait la même chose aujourd’hui, mais en tout cas pour moi, beaucoup de choses étaient là. Dans l’engagement artistique, dans l’expression artistique. Il y a quelque chose qui m’est resté, Rilke écrit, – j’espère que mon souvenir ne l’a pas déformé -, que si l’on imagine que la vie est comme une pièce obscure avec une fenêtre, la plupart des gens passent toute leur vie à proximité de la fenêtre, de la lumière. Et que seules quelques personnes acceptent d’aller dans tous les recoins de la chambre, même les plus obscurs… Ça m’a beaucoup marqué.
SIMONE : Et toi, tu es allée dans les recoins sombres ?
PASCALE : Oui. Oui, je n’ai pas eu peur.
SIMONE : Et qu’est ce que tu y as découvert ?
PASCALE : Je ne sais pas si c’est quelque chose qu’on peut nommer, c’est très diffus, c’est lié à la connaissance de soi, et à sa place, vis à vis de soi-même, vis à vis des autres … et ça m’a aidé dans mon expression, ça m’a aidé à ne pas avoir peur, à comprendre que la lumière n’existe que par rapport à l’obscurité, que le bien et le mal se confondent, que les choses ne sont pas toujours telles qu’elles ne paraissent. C’est aller dans les recoins les plus sombres pour mieux revenir à la lumière. Les choses sont complémentaires, elles ne s’opposent pas.
SIMONE : Et pour créer ? Où est ce que tu puises ton énergie, ton inspiration ?
PASCALE : Je ne sais pas comment ça fonctionne. Si l’on est inspiré par quelque chose d’extérieur, ou si les ressources sont en nous. Moi, j’aime à penser que l’enfant qui vient de naître sait tout, connaît tout et que la vie, les découvertes, les rencontres vont révéler ce qu’il porte en lui. C’est très mystérieux… il y a des choses qui sont très récurrentes, des choses me touchent plus que d’autres… quand je démarre un travail, je ne saurais pas dire exactement comment cela se déclenche, mais je sais que le travail en lui-même me le fait découvrir au fond.
SIMONE : Quand on voit tes grands tableaux, on se demande : est ce que tu as une idée de la toile finie quand tu commences ? Ou bien est ce que c’est juste une idée, un éclair, une inspiration d’un début, et ça se développe plus tard ? Comment est ce que tu appréhendes la peinture ?
PASCALE : Ce qui est intéressant dans la réalisation d’une œuvre, c’est le processus créatif. Même si je voulais penser dans sa totalité une peinture, un dessin ou quelque création que ce soit au départ, je ne le pourrais pas. Dans mon cas, ça ne marche pas comme ça. En le faisant, le processus créatif nous emmène forcément à un endroit qu’on n’avait pas prévu, parce que c’est une perpétuelle découverte, à chaque trait, chaque couleur, c’est un processus, et puis aussi parce que sinon, au fond ça ne serait qu’une réalisation. Et dans mon cas, ça ne marche pas comme ça. C’est vraiment une progression, qui nécessite autant une intervention de ma part que de laisser le travail me mener, m’emmener.
SIMONE : Est ce que tu as vu le film sur Gerhard Richter que nous aimons beaucoup toutes les deux ? Dans le film, on le voit travailler sur ses grandes œuvres ; on suit le processus créatif. Et ce que j’ai trouvé intéressant dans le film, c’est qu’en réalité lui ne sait pas, il continue tant qu’il a l’impression que ce n’est pas fini. Il n’y a pas d’intention au début de faire les choses de telle ou telle manière. Souvent, il se dit au début qu’il va faire comme ci ou comme ça, mais ça ne marche pas. C’est le tableau vraiment qui le mène vers quelque chose. Est ce que tu as l’impression que c’est un peu comme ça pour toi ?
PASCALE : Oui, bien sûr. Je crois que chaque artiste a son fonctionnement intime propre, mais oui, je me sens très proche de ce qu’il dit là. Absolument. C’est comme un fil qu’on tire au fond … on révèle le travail qui naît sous nos yeux… quelque chose comme ça. Pendant longtemps, ce qui m’intéressait en peinture, c’était de donner la sensation que le travail apparaissait. Comme s’il y avait eu très peu d’intervention de ma part. Au fond, de laisser oublier, de faire oublier le geste, la technique, pour que ma main disparaisse au profit du travail seul. Comme une apparition. De sorte que j’ai la sensation d’être au service du travail, de l’aider à apparaître, et de ne pas avoir le contrôle sur quelque chose que l’on aurait décidé de manière définie et absolue au départ. Et au fond, quelque part, je pense que de la même manière, les choses essentielles ne se décident pas… on ne décide pas d’aimer, de tomber amoureux, l’amour vient à toi. Et au fond dans le travail il y a quelque chose de cet ordre-là, quelque chose qui ne se décide pas, qui ne se contrôle pas, mais il faut être suffisamment fort pour l’aider à apparaître, sans le contrôler… quelque chose comme ça qui au fond, est aussi un acte d’amour, un acte de création d’une oeuvre personnelle.
SIMONE : Qu’est-ce que la création à avoir avec tout ce que l’on a en tant qu’artiste à l’intérieur de soi ? Pour toi, qu’est ce que ça exprime, ta création ?
PASCALE : J’aime à penser que c’est un miroir de moi-même, et bien au-delà. Puisque ça projette des choses dont je ne suis moi-même probablement pas consciente. En tout cas je ne le fais pas de manière volontaire. L’un des professeurs d’arts plastiques que j’ai eu, exposait dans ses cours les travaux des élèves, et chacun devait parler du travail des autres, et quand lui le faisait, il en donnait des interprétations qui nous avaient nous-mêmes échappées et dont on n’avait nous-mêmes absolument pas conscience. J’aime l’idée que le travail reste mystérieux y compris pour celui qui l’a fait et que les interprétations n’en sont pas limitées, cernables… on donne des clés, mais on ne l’enferme pas dans un propos, un discours. Et au fond, une œuvre vraie échappe quelque part au sens. Et … c’était quoi la question ?
SIMONE : Ce que tu mets de toi dedans et ce que tu voudrais exprimer …
PASCALE : Au fond, pour moi c’est un peu exprimer l’invisible, rendre visible l’invisible. Quelque chose qui ne se dit pas. Quelque part, quelque chose qui ne se voit pas non plus. Et en ça, ça vient toucher, chercher quelque chose d’extrêmement profond et mystérieux de soi, qu’on n’arrive même pas soi-même à nommer, à expliquer. C’est pour ça que c’est difficile de parler de son propre travail parce que au fond, ça reste un mystère pour soi, et je pense que ça doit l’être. On se trouve être comme un passeur d’un mystère qui va aussi révéler quelque chose du mystère de l’autre, celui qui regarde, tout du moins si ce travail a une utilité. Et c’est en ça que pour moi la notion de sacralité dans l’art, non pas dans un sens religieux, mais dans un sens sublime, métaphysique, spirituel, dans ce qui échappe au sens, est absolument essentiel. Si on dénonce quelque chose, il y a la politique, la sociologie, le journalisme pour ça. L’art doit mener ailleurs. Pas forcément pour quelque chose de nécessairement rassurant, loin de là, mais …. L’art doit à mon sens, bouleverser… en s’adressant à la part la plus sublime et la plus pure de chacun, c’est cela que l’art doit révéler, le meilleur de chacun. C’est par là que je peux moi aussi accéder à la part la plus profonde, la plus sublime et la plus mystérieuse de moi-même… et pouvoir donner le meilleur.
SIMONE : Ce qui m’intrigue dans tes différentes formes d’expression artistique, c’est que je me dis qu’il y a forcément un lien avec des influences, des personnes, que tu as rencontrés sur ta route…
PASCALE : En fait, quand j’ai quitté l’école et que j’ai commencé à me consacrer à l’art, à ne m’exprimer que de cette manière-là, j’ai abordé plusieurs expressions, mais la peinture est toujours restée ma colonne vertébrale parce que j’avais au début le sentiment qu’il fallait m’atteler à une chose pour la faire le mieux possible puis j’ai très rapidement, et pendant très longtemps eu la conviction que le support pouvait changer, tout en gardant le même processus, et d’ailleurs, il y a des parallèles très forts entre les expressions, par exemple en musique comme en peinture, on parle de rythmes, de couleurs, de tonalité, de contrastes, etc … il y a un vocabulaire commun et une relation évidente entre ces expressions, et c’est cette relation-là qui m’intéressait. Même si je restais principalement axée sur la peinture. Je croyais vraiment à cette relation-là et c’était ça qui m’intéressait. Et j’imaginais que plus tard lorsque j’en aurais la possibilité, je travaillerais là-dessus. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours été passionnée par l’opéra, parce que c’est un art global qui fait fonctionner toutes ces expressions ensemble, la musique, la peinture, la scénographie… où l’on se donne parfois la possibilité de le faire de manière presque abstraite, tout du moins dans des mises en scène un peu modernes, ou aussi dans la danse contemporaine…
C’est la raison pour laquelle j’ai commencé à faire de la scénographie, parce que j’avais le besoin de sortir des limites du cadre de la peinture, de travailler directement sur l’espace, en faisant de la scénographie j’ai fait des costumes, et de là, ça s’est enchaîné… Et aujourd’hui, en abordant plusieurs expressions, cela me confirme que, effectivement, cette relation, cette interaction entre les expressions m’intéresse vraiment, il y a de toute façon là quelque chose qui me touche, dans le livre c’est le même principe, même si c’est sur un support classique, il s’agit d’une interaction entre les textes et les images. Et puis aussi, je me suis rendue compte qu’au fond, mon expression propre se trouve probablement là, c’est à dire d’aborder des expressions qui ne sont pas forcément mon vocabulaire premier, mais de les aborder avec une virginité qui me fait par exemple faire de la photo comme ne le ferait pas un photographe, faire de la scénographie plutôt comme un plasticien, et d’écrire comme un peintre, voilà … au fond, c’est là que se trouve probablement mon identité quelque part.
Pendant très longtemps, j’allais à l’opéra, écouter de la musique ou rencontrer des œuvres comme à un rendez-vous très important. Les œuvres étaient pour moi comme des personnes, parfois même plus importantes que des personnes… Dans la mesure où j’attendais d’être bouleversée, parfois je pouvais être déçue ou étonnée mais j’avais cette espèce de soif de toucher des zones de… comment dire … de s’ouvrir l’âme. Et si on me demande à quoi ça sert, ça sert à ça.
J’avais cette espèce de vision fantasmée quand je faisais des expositions que j’aurais voulu que les gens s’arrêtent devant mes peintures, tellement bouleversés qu’ils en pleureraient… Au fond, c’était ça. Parce que c’est ça que j’attends moi, quand je vais voir des œuvres. Ce n’est ni de m’amuser, de trouver ça sympathique ni de même de choquer ou d’être choquée, c’est d’en sortir absolument bouleversée. Pas indemne, en fait. Et on trouve ça… Il y a des rencontres avec des œuvres, où tu as l’impression que ta vie s’arrête. Et moi, j’ai cette sensation que… je ne peux pas savoir exactement ce que je ferai le lendemain mais… au fond, le but ou l’idéal c’est ça. Au fond, faire une œuvre qui bouleverserait la personne qui la verrait au point de… d’avoir cette sensation que le cœur s’arrête, la vie s’arrête, tu vois, parce que c’est ce que je cherche, moi, quand je vais vois les oeuvres.
SIMONE : C’est une belle idée. On attend effectivement d’être bouleversé.
PASCALE : Je me souviens quand à certaines lectures quand j’étais adolescente, parfois, je lisais, je m’arrêtais, je ne voulais pas que ça ne reste qu’une lecture, pour moi ça s’adressait à moi, dans la mesure où c’était une indication de vie. Ça ne pouvait pas rester abstrait. Donc, j’ai tout appliqué à la lettre. Jusqu’à la première fois où j’ai lu un livre d’Alejandro, je me suis arrêté, je ne pouvais pas passer à côté de ça parce que là, pour le coup, j’avais la certitude que ça s’adressait vraiment directement à moi. Et puis, il y a des œuvres et des positions d’artistes, qui vous confortent ou qui vous donnent une direction, et qui sont comme des exemples.
Je me souviens de Zoran Music, qui était un peintre qui a beaucoup peint sur les camps de concentration, il a été interné à Dachau et en a fait des séries là-dessus, il a peint beaucoup sur … ces peintures de personnages, pour moi,… m’ont beaucoup bouleversée à l’époque. Il y avait eu une rétrospective au Grand Palais quand j’étais adolescente, et il se trouve que curieusement, un jour, le jour où j’y suis allé, je l’ai rencontré, mais ce n’est pas ça le plus important… J’avais lu un petit livre d’entretien avec lui, et j’avais vu un documentaire sur lui qui m’avait beaucoup frappé où il disait que parce que c’était son tempérament, il travaillait beaucoup dans la solitude. Beaucoup sur la figure humaine, beaucoup sur la solitude. Il a fait des séries sur l’atelier, des personnages seuls, dans des espaces obscurs, une peinture très introspective. Il disait qu’en peinture, en art, on devait être seul. Et que c’était vraiment une rencontre avec soi-même, qu’il ne fallait accepter absolument aucun compromis, que même travailler pour une exposition était quelque chose de faussé, parce qu’on ne devait pas travailler pour ça mais qu’on devait travailler pour le travail. Il poussait même les choses plus loin encore en disant qu’écouter de la musique pendant qu’on travaillait c’était encore trop… parce que c’était presque comme si on était avec quelqu’un d’autre…
Sans pour autant l’appliquer à la lettre, pour moi, c’étaient des exemples très importants. C’étaient des artistes comme lui qui n’étaient ni des poseurs, ni des carriéristes, ils ont été reconnus pour leur œuvre, mais ils avaient une vraie position d’artiste absolument intègre, en n’acceptant aucun compromis. Pour moi, ça c’était l’exemple.
SIMONE : Et toi, Pascale, qui est-tu ?
PASCALE : Je ne sais pas … ça me fait penser à Alejandro qui dit que quand on vous pose une question sur vous-même et que l’on est amené à se définir, c’est comme se dédoubler et devenir une deuxième personne face à soi-même, du coup … c’est difficile de répondre à ça… En tout cas, j’essaie, vraiment, je m’évertue et je m’applique, mais sans y penser à chaque seconde et à chaque instant parce que j’ai l’impression de le faire naturellement… d’être toujours le plus fidèle à moi-même et le plus honnête vis-à-vis de moi-même. Ça c’est vrai.
SIMONE : Et ça, on le sent, on le sent vraiment … merci beaucoup, Pascale.
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